Début janvier.
Depuis quelques jours les boîtes mail reçoivent les vœux les plus chaleureux pour une année joyeuse, généreuse, riche, sereine, satisfaisante, paisible, lumineuse mais surtout la santé!
Voilà la tradition toute française d’associer les vœux du Réveillon aux souhaits de bonne santé.
Il y a quelques années, fraîchement arrivée en France, je m’étais sérieusement inquiétée face à ce « Bonne Année, Bonne Santé » que je recevais à tout bout de champ. La superstition n’étant jamais trop loin chez mes compatriotes.
Mais en effet non, ce souhait ne m’était pas adressé directement. Il traduit simplement le degré d’attachement et de préoccupation que les Français portent au sujet de la santé.
Quel est, donc, le contenu de ce vœu? Ne pas être malade sans doute. Et puis vivre selon nos souhaits et, encore, disposer des moyens pour préserver le fameux capital santé. Et si l’on est malade? Et bien, dans ce cas la donnée risque de changer. Le malade est « la bande d’annonce des maladies » pour les bien portants. Le malade est une pathologie. Le malade est un consommateur irresponsable des ressources de la société. Le malade est un poids lourd des consultations.
Ah! le bon malade et le mauvais malade
Dans le classement des expressions les plus populaires de l’année dernière, je donne le palmarès à « Les patients ont des droits, d’accord. Mais aussi des devoirs! » Comme si le fait d’être malade ouvrait les conditions pour établir un contrat avec la société.
Et puis, le malade qui parle trop. Le malade qui ne parle que de lui. Le malade qui croit tout savoir. La malade qui surfe ( parbleu! ) sur Internet. Le malade qui fait perdre du temps précieux avec toutes ces bêtises lues sur les Forums. Qu’est-ce qu’il était bon ce vieux temps, quand les patients se taisaient et obéissaient!
Et encore les proches du malade. Cette horde qui envahit les services hospitaliers en agitant le drapeau de la responsabilité médicale. Éventuellement en traînant des paniers de victuailles et des amulettes d’origine douteuse.
Et comment oublier les malades qui remplissent les urgences le soir ou pendant les vacances? Et les non-observants? On aurait presque la tentation de les mettre sous surveillance ceux-là et hop! À la moindre boulette, plus de traitements. Ils ne les méritent pas.
Voilà un bouquet de représentations de patients. Il ne s’agit pas, sans doute, de la norme mais soyons sûrs que le fil rouge de chaque expérience de maladie est tracé par la culpabilité.
L’impression de déranger, de perdre ses moyens, de ne pas connaître la route, de provoquer des changements imprévus, de coûter en ressources et en énergie, la sensation d’avoir quitté la place de conducteur pour revêtir celle de remorque. Ce sont des sentiments loin d’être heureux.
Voilà pourquoi, en tout début d’année, j’exprime un souhait.
Je voudrais que le monde arrête de transformer le malade en maladie.
J’aimerais que cet état donne aux personnes le droit d’être écoutées, rassurées sur la feuille de route. Je voudrais que le voyage se fasse dans les conditions les plus respectueuses possibles, avec une équipe bienveillante orientée en premier lieu à réaliser l’intérêt majeur de la personne malade.
Je voudrais que sur cette route, le changement des vitesses se fasse en fonction de la qualité de vie de chaque malade. Et que les choix qui impactent sa vie soient faits avec lui et selon ses desiderata.
J’aimerais que notre société intègre la culture du « care » à un système traditionnellement basé sur l’offre de soins. Qu’elle prenne le temps de réfléchir aux enjeux de demain, les changements imposés par le vieillissement de la population et l’émergence de la chronicité. Que ces enjeux sortent du champ décisionnel des « experts » pour devenir matière d’un débat éthique.
J’aimerais que la santé soit un terrain d’alliance entre professionnels, patients, associatifs, décideurs, industriels…que les cloisons éclatent pour faire place à une alliance visant un seul but: préserver la dignité de la personne malade, ses droits d’être bien soigné et accompagné avec respect et bienveillance tout le long de son voyage.