Une Interview de David Bême pour Doctissimo.fr
Un Français sur deux consulte Internet à la recherche d’informations sur la santé. Sont-ils pour autant tous des patients 2.0 ? Internet a-t-il changé le rapport médecins-patients ? Peut-il contribuer à plus de démocratie sanitaire ? Nous avons posé ces questions à Catherine Cerisey, e-patiente engagée et auteur du blog « Après mon cancer du sein ».
Doctissimo : Comment définiriez-vous un e-patient ?
Catherine CeriseyCatherine Cerisey : La plupart des Français touchés par la maladie, particulièrement par une pathologie grave ou chronique, sont aujourd’hui des patients connectés. Pour en savoir plus sur une maladie, pour préparer une consultation, pour faire le point après un diagnostic… Le réflexe naturel est de se tourner vers Internet pour aller chercher des informations grand public, ou plus pointues. Après un certain temps, le patient connecté peut avoir envie de devenir actif sur la toile, de créer de l’information à travers sa propre expérience de la maladie. En accord avec la notion de 2.0, les patients vont échanger avec d’autres, avec des médecins, des proches sur des forums, des blogs, des réseaux sociaux, en commentant des articles… Mieux informé, il devient « e-patient » et réussit à acquérir certaines compétences pour mieux gérer sa santé, à s’engager dans cette gestion en faisant des choix, à exprimer une certaine expertise.
Attention, tous les e-patients ne sont pas pour autant des patients experts (et tous les patients experts ne sont pas « e » non plus…). Mais en cherchant des informations en ligne, en participant à des forums, en créant des blogs, il acquiert des connaissances qui lui permettent de mieux comprendre, de mieux appréhender sa maladie et de réellement participer à sa propre prise en charge.
Doctissimo : C’est ce que sous-entend la notion d' »empowerment » du patient?
Catherine Cerisey : Ce terme américain est difficilement traduisible en français. La définition du e-patient du Dr Thomas Ferguson est assez claire et comprend la notion d’empowerment. Le e-patient est engaged (impliqué dans sa prise en charge), equipped (éduqué/informé sur sa maladie), enabled (se donne les moyens d’agir) et empowered (investi d’un certain pouvoir, celui de décider).
Désormais emanciped (émancipé), le patient dialogue réellement avec son médecin. Aujourd’hui, les patients osent plus facilement dire qu’ils ont été sur Internet, qu’ils ont lu telle ou telle information… On est passé d’une relation ado/parent (le patient allant s’informer en cachette sans en parler à son médecin) à une relation entre adultes. Allier ces deux expertises ne peut qu’être bénéfique, patients et médecins aspirent au même résultat : guérir ou apprivoiser la maladie chronique pour mieux vivre au quotidien. Joindre ces deux forces permet à tous d’aller plus loin.
Doctissimo : Les médecins partagent-ils cette vision ou sont-ils encore méfiants vis-à-vis d’Internet ?
Catherine Cerisey : Après tous les médecins ne sont pas forcément « technophiles » et il ne s’agit pas d’un fossé générationnel. L’image d’Epinal avec le médecin de campagne appuyé sur son Vidal jauni n’est plus vraiment d’actualité. Aujourd’hui, les médecins de campagne sont souvent les plus connectés car Internet les rapprochent d’autres praticiens, de leurs patients…
Après, j’entends bien les critiques de certains médecins : toutes les informations sur Internet ne sont pas fiables, mais pour reprendre une analogie médicale, la balance bénéfice/risque de la santé 2.0 penche franchement en faveur des nouvelles technologies.
Pour le médecin, il est plus facile de dialoguer avec un patient informé, de l’impliquer dans le traitement. Un patient mieux informé est un patient mieux soigné.
Doctissimo : Que répondez-vous aux médecins qui pensent qu’on trouve n’importe quoi sur la toile ?
Catherine Cerisey : c’était peut-être le cas avec le web 1.0 : chacun pouvait créer un site et dire n’importe quoi. Mais aujourd’hui, le web 2.0 fait qu’une bêtise reste peu de temps en ligne, elle sera commentée par d’autres internautes qui pourront la signaler comme non valide. Je crois à cette forme d’intelligence collective, dont Doctissimo est un parfait exemple. On ne peut pas dire que les millions de fidèles de Doctissimo sont tous des imbéciles ! L’autre atout d’Internet est la possibilité d’entraide entre patients, ce soutien qui permet de mieux vivre sa maladie et de surmonter les coups durs. Là encore, les forums de Doctissimo en sont un bel exemple.
Le web est un outil dont il faut apprendre à se servir. Pour faire le tri entre informations valides et fantaisistes, le plus important est de savoir qui parle en allant voir le « Qui sommes-nous ? » (un labo, une association, un médecin…), de voir s’il y a des références (des sources sur les articles), de voir si les articles sont datés (ce qui était vrai il y a deux ans en médecine peut ne plus l’être aujourd’hui), si cette information est présente sur d’autres sites… Enfin, il ne faut jamais prendre de décision de santé sans l’avis de son médecin.
Doctissimo : Internet peut-il favoriser une réelle éducation à la santé ?
Catherine Cerisey : En partie, mais l’éducation à la santé passe par une formation du grand public dès l’école pour prendre en charge sa santé, développer un certain sens critique par rapport à l’information sur le sujet qui devient pléthorique… Parallèlement, cela passe aussi par une réelle volonté des médecins à vulgariser l’information scientifique et à agir au sein du web, en allant retrouver les patients qui ont massivement investi la toile.
Doctissimo : La e-santé peut-elle favoriser la démocratie sanitaire ?
Catherine Cerisey : Bien entendu, la santé 2.0 s’appuie sur la participation de tous : patients, médecins, institutions, associations, citoyens… C’est une étape essentielle pour aller vers plus de démocratie sanitaire, pour la transformer en véritable démocratie participative et non consultative comme c’est encore trop souvent le cas.
Aujourd’hui, les choses évoluent du côté des médecins, on l’a dit, mais également du côté des institutions. Pour l’élaboration du Plan Cancer 3, un appel à contributions en ligne avait été lancé et un chapitre du plan présenté le 4 février prévoit des avancées en matière d’implications des patients. Aujourd’hui, je fais partie de groupes de réflexion dans certaines institutions…
Mais jusqu’alors, elles avaient l’habitude de parler avec des associations agréées (pas toujours représentatives des patients) et pas avec les e-patients. Ils s’interrogent actuellement sur la légitimité de ces derniers. Résultat : on avance à tout petit pas, alors que la santé 2.0 avance à pas de géant avec les applications santé sur mobile, les objets connectés, les appareils de suivi portables (« wearable devices »)…
L’idée est de pouvoir co-construire ensemble une nouvelle façon de soigner. Et pour atteindre cet objectif, les nouvelles technologies sont incontournables.
David Bême
Créé le 11 février 2014