4 février, Journée mondiale contre le cancer, l’occasion de se féliciter des progrès des nouveaux traitements qui permettent de prolonger la vie de nombreux patients, l’occasion aussi de s’interroger sur la pérennité d’un système de financement dans une conjoncture économique de plus en plus difficile. Un problème sociétal qui fait l’objet de beaucoup d’interrogations et de débats ces derniers mois.
Les rencontres de l’INCa 2016 qui se tiendront ce 4 février à la Mutualité font une large place à la question tout comme les Rencontres de la Cancérologie Française (RCFr) en décembre dernier dans une table ronde passionnante qui réunissait des experts sans langue de bois. Retour en mots et en images sur le sujet du moment.
Notre système solidaire en péril
Notre système de santé, envié de tous, est basé sur le principe de la solidarité. Parmi les dépenses décriées, celles consécutives aux traitements ciblés des cancers qui pourtant, comme l’a rappelé aux RCFr Jean Jacques Zambrowski, économiste de la santé, ne représentent qu’un milliard sur les 150 milliards du coût global des soins supportés chaque année par notre assurance maladie. Il n’en reste pas moins que le prix de l’innovation des traitements anti-cancéreux est bien souvent mis en avant par les médias et l’augmentation des prix galopante agitée comme un chiffon rouge annonçant l’implosion prochaine de l’équilibre financier de notre sécurité sociale. Finalement, la répartition des ressources n’étant pas illimitée, se profile une médecine où il va falloir choisir ; préférons-nous privilégier une pathologie plutôt qu’une autre, un traitement plutôt qu’un autre, un patient au détriment d’un autre ? Evidemment personne ne veut en arriver là et quelques pistes d’amélioration ont été explorées lors de cette journée par les différents experts.
Une liste en sus à améliorer
Cette fameuse liste en sus, méconnue des quidams, mais citée en permanence par les milieux éclairés, permet de financer les médicaments innovants dispensés dans les hôpitaux sur la base de l’évaluation du Service Médical Rendu (SMR) et de l’Amélioration du Service Rendu (ASMR) des nouvelles molécules.
De ce fait, rappelle Jean Jacques Zambrowski, on assiste à une distorsion entre un médicament dont la galénique permettrait une prescription en ville et serait remboursé à 100% au titre de l’ALD, et un médicament équivalent, dispensé à l’hôpital, mais hors liste en sus, qui ne pourrait être prescrit par l’oncologue faute d’allocation budgétaire.
Aujourd‘hui, le billet d’entrée dans la fameuse liste assure un financement relativement pérenne du médicament puisque de fait, celle-ci est peu actualisée. Peu d’entrants certes, mais peu de sortants aussi.
Par ailleurs, une fois sorti, un médicament jugé plus assez « innovant » ne pourrait plus être pris en charge et donc ne serait plus disponible pour les patients malgré son possible intérêt, met en garde Eric Baseilhac du LEEM qui pourtant plaide pour une régulation dynamique de la liste.
Gilles Freyer, cancérologue aux Hospices Civils de Lyon (HCL), remet quant à lui simplement en cause l’évaluation des médicaments éligibles à la liste en sus. « Tous les jours, je prescris des traitements ASMR 5 qui changent et prolongent la vie de mes malades. Des médicaments importants obtiendraient un niveau médiocre d’ASMR et sont pourtant essentiels pour mes patients. » Propos confirmés par Jean Patrick Sales, représentant de la HAS, qui admet que le SMR est obsolète et l’ASMR perfectible.
Si certains tempèrent, d’autres comme Véronique Trillet Lenoir, oncologue et présidente des RCFr enfoncent le clou face à une situation qui semble-t-il ne relèvera bientôt plus de la science-fiction. Dans cette vidéo produite à l’occasion des RCFr par la chaine Acteurs de santé, la présidente nous met en garde : «Il ne faut pas que les cancérologues soient ceux sur lesquels reposent la décision de donner ou pas un médicament à tel ou tel patient, décision forcément subjective et source d’inégalité ».
Vidéo du Professeur Véronique Trillet Lenoir
Il est donc clair, que pour nos experts, cette liste en sus, dommage collatéral d’une tarification à l’activité qui n’a décidément pas fait ses preuves, devra probablement être repensée rapidement afin d’harmoniser le financement des médicaments jugés innovants ou pas et permettre à tous les patients, quels que soit leur lieu de soin, de recevoir la thérapie la plus adaptée.
Une évaluation liée à la performance en vie réelle
C’est une autre piste, déjà explorée par certains voisins européens avancée par Dominique Polton de la CNAMTS appuyée par Gilles Freyer (HCL), et Roman Rouzier (Institut Curie), tous deux oncologues cliniciens.
Un médicament est évalué au moment de son inscription sur la base d ‘essais randomisés classiques, nous rappelle en effet, Madame Polton. Mais comme le précise également Roman Rouzier, « la vie réelle est l’épreuve du feu » pour ces nouvelles thérapies. Il faut réévaluer et confirmer le niveau de preuve après confrontation aux performances dans la vraie vie.
C’est notamment le cas dans le cadre d’associations thérapeutiques souligne Jean Yves Fagon du Comité Economique des Produits de santé. En cancérologie, un traitement est souvent associé à un autre, il faut donc en tenir compte dans la négociation. Comme le souligne Eric Baseilhac, ce sera l’un des défis de demain. Il faut non seulement raisonner en stratégie thérapeutique mais réfléchir également à un système de prix par indication.
Une solution qui viendra aussi sans doute de la médecine personnalisée qui permettra de donner le bon médicament au bon malade.
Se pose donc le problème de la mise en place de nouveaux systèmes qui permettront de réguler les prix en fonction des performances réelles de la molécule.
L’accès à l’innovation un problème qui nous concerne tous
Les patients et représentants des patients ont exprimé, en coulisse, leur point de vue devant la caméra.
Pour Christian Saout, le problème majeur n’est pas le manque d’argent mais bien la distribution des ressources qui gagnerait à être repensée. Le financement de l’innovation est l’affaire de tous alors qu’on le rappelle, les représentants des usagers sont peu ou pas représentés dans les différentes commissions en charge des négociations avec les industriels.
Vidéo de Christian Saout
L’innovation incrémentale est également un sujet qui fait réagir les associations. Pour Giovanna Marsico, directrice de Cancer Contribution, les patients ont besoin de ces avancées qui semblent mineures aux yeux de certains mais permettent à terme de gagner des années de vie. Mais un effort de tous est nécessaire pour rendre possible ce financement faute de quoi notre système de santé ne pourra plus assumer non seulement les innovations incrémentales mais aussi les innovations de rupture.
Vidéo de Giovanna Marsico
La survie est bien sûr essentielle mais l’amélioration de la qualité de vie est aussi une demande constante des malades, malheureusement sans doute moins importante aux yeux des experts qui n’ont pas abordé le concept lors des différentes tables rondes des RCFr. La solution ne serait-elle pas, comme le propose Damien Dubois, fondateur de Jeunes Solidarité Cancer, une collaboration plus étroite des industriels et des associations de patients afin de permettre d’orienter la recherche vers des médicaments plus adaptés aux besoins ?
Vidéo de Damien Dubois
Si l’on ne doit pas jouer à se faire peur, pour Jean Yves Fagon, il semble évident que le problème du financement de l’innovation va se poser en France, mais aussi chez nos voisins. Pas question de monter seuls au créneau en Don Quichotte de la Mancha opine Gilles Freyer.
Un avis partagé par nos dirigeants puisqu’à l’occasion de la Journée de l’innovation en santé, le 23 janvier dernier, la Ministre Marisol Touraine a affirmé que la question du prix de l’innovation était centrale, décisive pour les années à venir. « Elle ne trouvera de réponse qu’au niveau international. J’ai décidé de mener une grande offensive européenne. Une grande conférence se tiendra au début du mois d’avril à Lyon, à l’initiative du président de la République », a-t-elle ajouté.
A suivre donc…
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