De nombreuses études sur la e-santé voient le jour chaque année afin d’en percer tous les mystères. La plupart du temps, pour ne pas dire toujours, elles sont commanditées par des entreprises, agences, institutions … souvent déconnectées (sic) des réalités. Les sondages se succèdent apportant leur lot de chiffres parfois contradictoires, essayant de décortiquer ce que pense, fait, dit l’internaute santé afin, in fine, de lui proposer une offre correspondant à ses attentes …
Lors d’une conférence présentant le énième baromètre de la e-santé 2012, mon amie Giovanna Marsico, Laurent Mignon de Lauma Communication et moi même nous faisions la réflexion que, décidément non, ces enquêtes n’apportaient pas de réponses pertinentes. Pourquoi ? Peut être parce que les questions posées, souvent orientées donnent forcément la réponse souhaitée. Peut-être aussi parce que finalement ces entreprises ne font qu’observer les jeux du cirque sans rentrer dans l’arène !
Une idée un peu folle commence alors à germer : si, en tant que e-patients largement concernés, nous lancions notre propre étude ? Ou plutôt deux enquêtes parallèles, l’une auprès des français lambda afin de comprendre lesquels d’entre eux surfent sur le web-santé, les freins, leurs attentes et l’autre plus ciblée, auprès des malades chroniques sur le web afin de comprendre leurs usages et leurs souhaits. Aussitôt dit, aussitôt fait ! Les résultats ont été communiqués lors d’une conférence de presse qui a eu lieu hier matin à Paris. Je vous en livre ici quelques résultats des plus intéressants.
Les français et le web-santé
Etude réalisée par téléphone entre le 4 et le 6 février 2013 par la TNS Sofres auprès de 1002 individus représentatifs des français de 18 ans et plus.
La e-santé séduit les français
Un français sur deux a déjà utilisé internet (57% des internautes) pour rechercher des informations ou échanger sur sa santé pour lui même ou pour un proche. Sachant que dans notre échantillon, tous n’ont pas été malades, ce chiffre semble assez important même si en deca de celui apporté par la dernière enquête du Conseil National de l’Ordre des médecins .
Parmi ceux là, on trouve une large majorité de personnes ayant un revenu mensuel au dessus de la moyenne et 61% de diplômés Bac +2 et plus. Il semblerait donc que le web santé plaise d’avantage aux CSP+. Et en effet, on s’aperçoit que parmi les 51% qui n’utilise pas internet pour des recherches concernant la santé, 21% n’y ont simplement pas accès. La fracture numérique est donc encore bien présente dans notre pays !
Où surfent-ils ?
Intéressons nous à nos surfeurs santé (49% des français interrogés). Nous leur avons demandé ce qu’ils cherchaient sur le web et, si 92% recherchent des informations sur un problème de santé, ils sont quand même 47% à rechercher des témoignages de personnes souffrant d’une maladie. On les retrouve d’ailleurs à 62% sur les forums contre 65% sur les sites spécialisés type Doctissimo et seulement 33% sur les sites des pouvoirs publics.
On voit bien que l’information en provenance des pairs, une information non validée, non officielle est plébiscitée et que celle, plus formatée et institutionnelle, n’intéresse que peu nos internautes. Le 2.0 prend toute sa valeur quand il s’agit de santé… .
Une relation patient/médecin renforcée
Plus intéressant encore est l’impact que le web a sur la santé et la relation avec les médecins. Les ¾ des personnes interrogées pensent que leurs recherchent leur ont permis de mieux prendre en charge leur santé et plus de la moitié pensent avoir mieux supporter leur maladie.
Dans la même idée, 75% pensent que les infos trouvées sur le net ont enrichi leurs échanges avec les médecins et 65% ont d’autant plus confiance en ces derniers. De quoi tordre le cou à certaines idées fausses encore bien ancrées dans l’imaginaire : non « Docteur Google » n’est pas en passe de remplacer le médecin traitant et au contraire, il renforce les relations que nous tissons avec lui IRL.
Les contres
54% des non usagers du web santé expliquent qu’ils ne parlent de ces problèmes qu’avec leur médecin ou pharmacien et seulement 18% n’ont pas confiance dans internet pour la santé ! Le rôle et l’expertise du professionnel de santé restent essentiels pour ces anti-web. En revanche, peu de méfiance vis à vis de sa fiabilité. Le désormais culte « internet ? On y trouve tout et n’importe quoi » aurait-il fait son temps ?
Nous nous sommes penchés ensuite sur ce qui les ferait changer d’avis. Un sur deux se laisserait séduire si les informations étaient garanties par un médecin, et seulement 1 sur 4 si c’était par les pouvoirs publics ! Les chiffres reflètent bien une réalité que l’on a pu constater lors des récentes crises sanitaires : la parole d’évangile n’est pas portée par les institutions. Plus d’une personne sur deux aimerait accéder à son dossier médical en ligne mais trois personnes sur quatre ne voient pas l’intérêt de le créer elles mêmes. Une information importante pour l’ASIP en charge de la mise en place du fameux DMP.
Si ces français aimeraient quand même accéder à des services plus que basiques comme prendre rendez-vous chez leur médecin via le net (63%), échanger avec lui par mail (51%) ou accéder à leurs analyses médicales (61%), rien à faire, voir son médecin en chair et en os est irremplaçable puisqu’ils sont 62% à juger inintéressant de pouvoir consulter le site ou le blog d’un médecin et 83% de pouvoir dialoguer avec eux sur les réseaux sociaux. Comme quoi, pour ces sceptiques, le e-médecin n’a pas grand intérêt !
Il nous a semblé pertinent d’aller plus loin dans cette enquête et d’affiner les réponses en interrogeant directement les patients simplement présents ou fortement actifs sur le net. Pour se faire nous avons réalisé un questionnaire en ligne, légèrement différent du premier auprès des doctinautes atteints de maladie chronique.
Usages et attentes des malades chroniques sur le web
Sondage réalisé en partenariat avec Doctissimo entre le 4 et le 21 Mars auprès de 691 internautes dont 436 touchés par une maladie chronique.
Les patients sont résolument 2.0
Près de 4 malades sur 10 surfent 2 à 3 fois par semaine ou plus. On les retrouve sur des sites spécialisés (92,66%), des sites encyclopédiques (45,64%), des sites d’associations de patients (30,28%). Ils sont peu nombreux à surfer sur les sites des pouvoirs publics (23,39%) mais en revanche sont beaucoup plus 2.0 que nos français, puisqu’on les retrouve sur des blogs de patients (22,25%) ou de médecins (11,93%).
Une information en provenance des pairs
Si bien entendu ils recherchent des informations sur une maladie précise (91,28%), sur les médicaments (77,98%) ou des effets secondaires (59,86%), beaucoup recherchent aussi des témoignages d’autres malades (67,66%). Un sur deux participe à des chats, forums ou sites communautaires et ils y cherchent des informations sur le vécu (80,28%), des infos sur la maladie elle même (77,93%), du partage (72,30%), du soutien et de l’aide (59,62%)… Ils veulent donc des informations en provenance des pairs, des informations non scientifiques, liées à l’expérience des autres malades. Le 2.0 a du sens dans la problématique de la maladie chronique et sa notion de « vivre avec ».
E-patients et e-médecins, je t’aime, moi non plus !
Plus étonnant, ces patients n’hésitent pas à parler de leurs recherches à leur médecin (7 personnes sur 10). Est-ce à dire que le e-patient s’affirme plus vis à vis des professionnels de santé ?
Concernant les échanges e-patients/e-médecins, l’enquête nous montre qu’ils sont encore extrêmement anecdotiques : seuls 7,25% des internautes suivent un médecin via un réseau social type Facebook ou Twitter. Idem pour les centres de soins puisque que seulement 6,04% d’entre eux suivent un hôpital ou une clinique via ces mêmes réseaux.
Des attentes simples et légitimes
Comme les autres citoyens, ils aimeraient avoir accès à leur médecin pour une grande partie via un email (75,87%) et dans une moindre mesure via leur téléphone portable (23,78%). Avouez que dialoguer par mail est facile à mettre en place et permettrait de simplifier la vie aussi bien des patients que des médecins.
Accéder à des formations à leur pathologie via internet et des conférences, à l’instar de ce que fait déjà l’association Vivre sans thyroïde, sont des idées séduisantes pour plus de 70% des sondés. L’internaute santé veut se former, comprendre ce dont il souffre afin de mieux gérer son parcours de soin. Il semblerait donc que le patient connecté soit bien en demande d’autonomisation. Il souhaite se prendre en charge et l’information/la formation font partie du processus.
Un autre message fort à destination des pouvoirs publics est leur demande d’information sur la qualité des prestations de santé (près de 80%). Echanger (voire noter ?) les établissements de soins leur semble naturel comme ils le font déjà pour d’autres services.
Enfin, un e-patient sur deux n’éprouve pas le besoin d’apprendre à surfer sur l’internet santé. Là encore un signe que les surfeurs santé sont de grandes personnes, capables de se débrouiller tout seul sans l’avis ou les conseils éclairés de leur médecin !
En conclusion, si au regard des retombées presse de la conférence, le monde de la e-santé semble surpris par certains résultats, j’avoue pour ma part m’en réjouir quelque peu.
Des français consommateurs de e-santé, une relation patient – médecin renforcée par le web, des patients 2.0 autonomes et émancipés, des attentes légitimes … finalement un baromètre au beau fixe vous ne trouvez pas ?
Catherine Cerisey
Un grand merci à Laurent et Emmanuelle de Laumacom sans qui cette expérience n’aurait pas été possible !
Pour lire le communiqué de presse, c’est ici
A lire aussi l’excellent post de Giovanna sur le sujet